Il est des affaires où la justice, viciée par des intérêts inavoués, se plie devant le pouvoir en place, écrasant sous son poids l’espoir d’un quelconque redressement moral. Le récent scandale impliquant la Société d’Énergie et d’Eau du Gabon (SEEG), avec ses ramifications troubles jusqu’au sommet de l’État, illustre parfaitement cette triste dérive. Ce vaste réseau de détournements de fonds, estimé à près de deux milliards de francs CFA mensuels, révèle non seulement la fragilité de l’appareil d’État, mais également l’implication suspecte de certaines figures proches de la présidence, jetant un voile de suspicion sur le régime en place.
L’enquête, initiée par la Direction Générale de la Recherche (DGR), sous la houlette de Jean Norbert Madjoupa, s’était rapidement heurtée à des obstacles inattendus. Il est désormais établi que les investigations menées sur cette affaire de fraude informatique à la SEEG ont mis en lumière des connexions troublantes avec Pierre Duro, conseiller spécial de Brice Clotaire Oligui Nguema et personnage désormais omniprésent dans les cercles du pouvoir gabonais.
À la racine de cette opération criminelle, un serveur informatique, supposément hors service, mais en réalité utilisé pour siphonner les fonds publics via un système de vente parallèle de tickets prépayés. Le simple fait qu’un tel dispositif ait pu être installé au cœur même de la SEEG, sans éveiller de soupçons immédiats, atteste de la sophistication de cette machination. Pourtant, à mesure que les enquêteurs progressaient, une vérité glaçante se profilait : toutes les pistes menaient inexorablement à l’entourage Pierre Duro.
Le rôle de Pierre Duro dans cette affaire ne relève plus du simple soupçon. À travers son acolyte de longue date, Khalil Rihan, homme d’affaires prospère et omniprésent dans les sphères du bâtiment et des marchés publics, Duro aurait non seulement contribué à l’instauration de ce système de fraude, mais en aurait été l’un des principaux bénéficiaires.
Le limogeage brutal de Joël Lehman Sandoungout, directeur de la SEEG et initiateur de la plainte auprès de la DGR, est un signal alarmant, marquant une volonté manifeste d’étouffer l’affaire dans l’œuf. Plus grave encore, l’enquête elle-même fut abruptement suspendue, sans explication publique valable. , lorsque la chaîne des responsabilités commençait à atteindre les hautes sphères du pouvoir. Cette interruption a laissé un goût amer dans les esprits, renforçant l’idée d’un régime protégeant ses propres intérêts au détriment de la transparence et de la moralité.
La suspension de l’enquête, orchestrée à un moment où la lumière commençait à percer sur le rôle néfaste de Pierre Duro, sonne comme une trahison des promesses de réformes annoncées par la junte au pouvoir. En prenant en main cette enquête et en plaçant sous son autorité directe la gestion de cette affaire, le chef de la junte semble avoir sciemment bloqué tout espoir de justice, sacrifiant sur l’autel de la complaisance les valeurs mêmes qu’il prétend défendre.
Le sort réservé à Jean Norbert Madjoupa, patron de la DGR, en dit long sur l’état actuel des affaires au Gabon. Alors qu’il avait courageusement lancé les investigations, il se retrouve aujourd’hui politiquement fragilisé, avec une carrière mise en péril par des forces qui le dépassent. Les liens entre Brice Clotaire et Pierre Duro ne sont plus simplement intrigants, ils sont désormais perçus comme un symbole accablant de la corruption systémique qui gangrène le sommet de l’État.
En suspendant cette investigation d’envergure, Brice Clotaire Oligui Nguema a fait bien plus que protéger son conseiller spécial. Il a montré que, sous le vernis des réformes et des promesses de redressement, se cache un système inchangé où les puissants continuent d’échapper à la justice, et où la corruption demeure une arme de contrôle et de domination. Ce dossier SEEG, par son ampleur, ne manquera pas de marquer durablement la mémoire collective, comme un énième exemple de l’impunité présidentielle dans un pays qui mérite mieux.