Comment le dialogue national prépare une constitution xénophobe et discriminatoire pour le Gabon

Comment le dialogue national prépare une constitution xénophobe et discriminatoire pour le Gabon

Alors que le Gabon s’apprête à soumettre à référendum une nouvelle constitution avant la fin de cette année, les inquiétudes se multiplient quant aux véritables intentions derrière ce projet. En effet, bien que le texte ne soit pas encore accessible à la consultation publique, les conclusions du dialogue national, qui serviront de base à cette constitution, laissent déjà entrevoir une dérive inquiétante. Derrière ce qui pourrait passer pour un exercice démocratique se cache peut-être une manœuvre dangereuse visant à consolider le pouvoir de l’actuel chef de la Transition, Brice Oligui Nguema.

Le projet de constitution, s’il venait à suivre les recommandations issues de ce dialogue, serait loin d’incarner les aspirations d’un peuple en quête de justice et de progrès. Il semblerait plutôt qu’il soit taillé sur mesure pour garantir la pérennité d’un régime autocratique. Une analyse de certaines des conclusions du dialogue révèle une série de dispositions potentielles qui, si elles sont effectivement intégrées dans la nouvelle constitution, mettraient gravement en péril l’avenir démocratique du Gabon.

Des critères d’éligibilité scandaleux et discriminatoires

Parmi les recommandations adoptées lors du dialogue national, certains critères d’éligibilité pour la présidence, s’ils étaient inscrits dans la constitution, susciteraient une vive indignation. Ces critères constituent une attaque frontale contre les principes d’inclusion et d’égalité qui devraient être au fondement de toute république moderne.

Tout d’abord, l’idée selon laquelle tout candidat à l’élection présidentielle devrait obligatoirement être marié(e) à une personne de nationalité gabonaise est non seulement une aberration juridique, mais également une violation flagrante des droits individuels. Si cette disposition venait à être confirmée, elle exclurait d’office une large partie de la population, notamment ceux qui, par amour ou par choix, ont décidé de s’unir à une personne d’une autre nationalité. Comment justifier que l’amour ou le choix personnel de son conjoint puisse disqualifier un citoyen de sa capacité à diriger son propre pays ?

Ensuite, le critère selon lequel un citoyen ne pourrait être éligible à la magistrature suprême s’il a un parent de nationalité étrangère est encore plus scandaleux. Une telle disposition, si elle était adoptée, stigmatiserait des milliers de Gabonais dont les parents, par les aléas de l’histoire et des relations transnationales, possèdent une autre nationalité. Ce critère non seulement bafoue le droit des Gabonais issus de mariages mixtes, mais il introduirait également une forme pernicieuse de xénophobie institutionnelle. Ce ne serait pas une constitution pour le peuple, mais une constitution contre le peuple, visant à limiter l’accès au pouvoir aux seuls individus répondant à des critères taillés sur mesure.

De plus, l’idée selon laquelle toute personne ayant occupé un poste ministériel ou une haute fonction dans l’administration publique pendant la transition serait disqualifiée pour se présenter à la présidentielle, à l’exception du chef de la junte, Brice Oligui Nguema, est tout aussi indécente. Ce dernier serait ainsi exonéré de toute restriction, s’assurant une voie libre pour briguer la présidence, tandis que les autres acteurs de la transition seraient écartés d’office. Si cette disposition venait à être inscrite dans la constitution, elle témoignerait d’un incroyable cynisme : une volonté claire et nette de verrouiller la compétition présidentielle au profit d’un seul homme.

Vers un hyper-présidentialisme, une monarchie de fait ?

Au-delà de ces critères scandaleux, il est également à craindre que cette nouvelle constitution ne prévoie l’instauration d’un hyper-présidentialisme qui frôlerait le culte de la personnalité. Sous couvert de renforcer les institutions, ce projet pourrait conférer au futur président d’importants pouvoirs, transformant ce dernier en un véritable monarque républicain.

Il est en effet à redouter que le texte proposé permette une concentration des pouvoirs exécutifs, législatifs et même judiciaires entre les mains du président, sans réels contrepoids institutionnels. Si tel était le cas, le président pourrait nommer et révoquer les ministres à sa guise, dissoudre l’Assemblée nationale sans préavis, et même intervenir dans les décisions de justice. La balance des pouvoirs, essentielle à toute démocratie, serait alors totalement renversée, et le Gabon risquerait de sombrer dans un régime où l’arbitraire du chef de l’État deviendrait la norme.

Il est crucial de dénoncer cette dérive, car ce n’est pas simplement un renforcement des institutions qui serait en jeu, mais bien une refonte totale de l’architecture étatique, où le président de la République deviendrait un roi tout-puissant. En réalité, cette constitution, si elle venait à intégrer de telles dispositions, ne serait qu’un moyen détourné pour Brice Oligui Nguema de pérenniser son pouvoir, en écartant tout opposant potentiel et en s’assurant un contrôle total sur le Gabon.

Un avenir incertain pour la démocratie gabonaise

Si ce projet de constitution venait à être adopté tel qu’il est envisagé, il constituerait une menace grave pour la démocratie gabonaise. Loin d’ouvrir la voie à une transition apaisée et à une refondation de l’État, il risquerait au contraire de plonger le pays dans une nouvelle ère de tensions politiques et de division sociale.

Il est plus qu’urgent que la société civile gabonaise, ainsi que la communauté internationale, se mobilisent pour dénoncer ce projet et empêcher sa mise en œuvre dans ces termes. Car il est indéniable que cette constitution, si elle venait à être adoptée, marquerait la fin de l’espoir démocratique au Gabon, au profit d’une oligarchie familiale et d’un hyper-présidentialisme qui, loin de servir les intérêts du peuple, ne ferait que consacrer le règne d’une élite autoproclamée.

En somme, le Gabon se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins : accepter cette constitution, c’est accepter de sacrifier la démocratie sur l’autel du pouvoir personnel. Refuser cette mascarade, c’est au contraire se battre pour un avenir où chaque citoyen, quel que soit son origine, sa situation familiale, ou son parcours, puisse prétendre légitimement aux plus hautes fonctions de l’État. Le choix est désormais entre les mains du peuple gabonais.