Droit de préemption ou droit de prédation ? La nouvelle arme du régime gabonais

Droit de préemption ou droit de prédation ? La nouvelle arme du régime gabonais

Sous couvert de patriotisme économique, le Gabon s’adonne désormais à une stratégie inquiétante de captation des actifs pétroliers, au mépris des règles de marché, de la transparence et de l’attractivité du pays. Le récent rachat des actifs de Tullow Oil par la Gabon Oil Company (GOC), orchestré avec brutalité et opacité, en offre une illustration saisissante. Derrière l’écran de fumée d’une souveraineté économique affichée, se dessine une mécanique implacable de chantage d’État. Le droit de préemption, censé protéger l’intérêt général, est devenu une arme au service d’intérêts privés noyés dans les limbes du pouvoir.

Officiellement, le droit de préemption permet à l’État de prioriser ses intérêts stratégiques dans les secteurs sensibles. En réalité, cet outil, légitime dans son principe, a été détourné de sa finalité. Au Gabon, il est devenu le levier d’un système mafieux de captation des richesses, un mécanisme de pression destiné à contraindre les compagnies pétrolières à céder leurs actifs à vil prix à une entreprise publique — la GOC — dont l’indépendance est illusoire tant elle est arrimée au sommet de l’État.

Le cas Tullow Oil en est la parfaite démonstration. Alors que l’offre de Perenco — estimée à 350 millions de dollars — tenait la corde, c’est finalement la GOC qui a raflé la mise avec une proposition inférieure de 300 millions, exonérée d’impôt. Un paradoxe ? Non. Un coup de force. Selon des sources proches du dossier, la simple évocation du droit de préemption a suffi à faire pencher la balance. Déjà exercé lors du rachat d’Assala Energy, ce « joker » brandi par le régime agit désormais comme une menace latente. Pourquoi négocier avec des concurrents sérieux, quand l’État peut s’auto-attribuer les actifs en agitant le spectre de la nationalisation ?

Sous la transition militaire dirigée par le général putschiste Brice Clotaire Oligui Nguema, cette stratégie s’est institutionnalisée. Le droit de préemption n’est plus un instrument juridique mais une technique de prédation, drapée dans les oripeaux du patriotisme économique. Le régime affirme vouloir « gaboniser » les ressources pour renforcer la souveraineté énergétique du pays. En réalité, il s’agit d’une politique de captation destinée à enrichir une élite politico-affairiste au détriment de la transparence, de l’investissement et du développement à long terme.

La GOC, portée aux nues comme fer de lance de cette « reconquête », n’est aujourd’hui que la courroie de transmission d’un pouvoir en quête de liquidités. Pour financer ses emplettes, elle s’appuie sur des montages opaques impliquant les négociants Gunvor et Glencore, garants d’un prêt de 300 millions de dollars à rembourser sur les futures productions. Ce système de préfinancement par anticipation des revenus pétroliers est connu : il engendre une spirale d’endettement et de dépendance, tout en compromettant la transparence des recettes publiques.

Les conséquences d’une telle dérive sont redoutables. D’abord, elle dissuade les investisseurs sérieux, rebutés par une insécurité juridique croissante. Ensuite, elle favorise la prise de contrôle d’actifs par des entités opaques, parfois sans réelle capacité technique ou financière. Enfin, elle risque d’entraîner une baisse de la production à moyen terme, faute d’investissements et de savoir-faire, tandis que les recettes publiques fondent et que la pauvreté s’enracine, malgré l’abondance des ressources.

Au final, ce n’est pas le droit de préemption qui pose problème. C’est son usage mafieux, brutal, hors de tout cadre de bonne gouvernance. Le Gabon, au lieu de se doter d’une stratégie industrielle cohérente et inclusive, s’enferme dans un schéma prédateur, court-termiste et délétère. Ce faisant, il hypothèque son avenir, dilapide sa crédibilité et trahit, une fois de plus, les promesses de la rente pétrolière.

L’histoire retiendra peut-être que la souveraineté n’a jamais été aussi mal servie que lorsqu’elle fut invoquée pour masquer les prédations d’un État devenu son propre prédateur.

 

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